Le
colonel Claus
Schenk Graf von Stauffenberg fut le centre de la Résistance au sein du commandement suprême des
forces armées après que le général Hans Oster ait
été limogé, après le démantèlement du groupe de résistants au sein
du contre-espionnage, et après l'envoi de Henning von Tresckow au front
de l'Est. Von Stauffenberg fut du 1er juin au 20
juillet 1944 le chef de l'état-major du commandant des troupes de réserve. Il
était convaincu que seule la mort de Hitler pourrait inciter la
Wehrmacht à agir. Au début ébloui comme tant d'autres
par les succès militaires de Hitler, ce n'est que pendant la guerre qu'il saisit le
caractère criminel de la politique nazie. Blessé grièvement en Afrique, il perdit un œil,
la main droite et des doigts de la main gauche, fut transféré à
Berlin et y reçut en septembre 1943 un poste de chef d'état-major. Son
supérieur, le général Friedrich Olbricht, qui était déjà depuis 1938
l'une des forces motrices pour un putsch au sein de l'armée, lui demanda d'entrer dans la Résistance active. Et c'est
Friedrich Olbricht qui mit von Stauffenberg en contact avec Henning von Tresckow, Ludwig Beck et Carl
Friedrich Goerdeler. Grâce à sa position centrale, tant sur le plan
géographique que hiérarchique au sein de l'armée, von Stauffenberg
œuvra
pour l'unification des divers cercles et groupes de Résistance, afin d'assurer
leur
coordination lors d'un coup d'État. Par l'intermédiaire de
Fritz-Dietlof Graf von der Schulenburg, il entra en contact avec le
social-démocrate Julius Leber. Puis il entra en contact avec le cercle
de Kreisau en faisant la connaissance d'Adam von Trott zu Solz, qui lui
présenta son cousin Peter Graf Yorck von Wartenburg. Enfin, il rencontra Ludwig
Beck dans la maison du
grand chirurgien Sauerbruch. Von Stauffenberg étant parvenu à coordonner
l'action de ces divers groupes, c'est lui qui dirigea les opérations à
partir de Berlin lors du coup d'État.
A la suite de l'échec des tentatives
d'attentats en 1943, et après l'arrestation des conjurés
Julius Leber et Adolf Reichwein, von Stauffenberg se décida à exécuter en personne
l'attentat à la bombe le 20 juillet 1944. Il en informa les
résistants ayant des positions clés dans l'armée et dans
l'administration. L'idée de tuer Hitler dans son quartier général, sa
"Tanière du Loup" près de Rastenburg en Prusse Orientale, lors
de la conférence quotidienne l'informant de la situation militaire, était de von Tresckow. Tous les précédents plans et tentatives d'éliminer
le dictateur lors de ses rares déplacements s'étaient avérés irréalisables, puisque Hitler était trop prudent pour se tenir aux heures
fixées et à l'itinéraire convenu, et puisqu'il se désistait trop
souvent pour qu'il soit possible d'arranger un attentat et un putsch.
Le matin du 20 juillet 1944,
von Stauffenberg partit de son
appartement à Berlin-Nikolassee et prit
l'avion pour Rastenburg, en Prusse Orientale, avec son aide de camp, le lieutenant
Werner von Haeften. Dans la "Tanière du Loup", von Stauffenberg
et von Haeften allèrent, sous prétexte de vouloir se rafraîchir et
changer de chemise avant la conférence avec Hitler, dans la chambre de
l'aide de camp de Keitel, le commandant Ernst John von Freyend. C'est là
qu'ils voulaient amorcer les détonateurs des explosifs afin qu'ils
déclenchent l'explosion 10 à 12 minutes plus tard, et mettre ceux-ci dans le porte-documents de
von Stauffenberg. Les deux hommes furent dérangés par l'adjudant-chef Werner Vogel, qui
les appela à venir à la conférence, c'est pourquoi ils ne purent amorcer
que l'une des deux bombes prévues. La deuxième bombe resta dans le
porte-documents de Werner von Haeften.
A 12h30, von Stauffenberg se rendit
dans le baraquement où avait lieu la conférence. A son arrivée, Keitel annonça
à Hitler que von Stauffenberg lui exposerait les mesures prises pour la
mise sur pied d'unités de remplacement. Von Stauffenberg déposa alors
son porte-documents près de Hitler, sous la table, et quitta le
baraquement vers 12h40, sous prétexte de devoir aller téléphoner.
Vers
12h50, juste au moment où Hitler se pencha au-dessus de la table en
chêne pour étudier des cartes, la bombe explosa. Cinq des vingt-quatre
personnes présentes dans le baraquement furent tuées, les autres blessées.
Hitler n'eut que quelques petites égratignures.
Von Stauffenberg entendit
l'explosion et partit tout de suite en voiture avec
von Haeften. Leur voiture, conduite par le lieutenant Erich Kretz, passa
à environ 70 mètres à côté du baraquement enfumé et sortit de
la zone de haute surveillance juste avant que l'alerte soit donnée et que toutes les sorties
soient fermées. Arrivés au corps de garde
extérieur, l'adjudant-chef Kolbe ne voulut pas les laisser passer. Von
Stauffenberg téléphona alors au capitaine de cavalerie von Möllendorff
à l'état-major de place, qui les autorisa à passer. Sur la route vers l'aérodrome, von Stauffenberg
jeta le deuxième paquet d'explosifs par
la fenêtre. Arrivés à l'aérodrome à 13h15, ils prirent aussitôt l'avion pour
Berlin, où von Stauffenberg devait déclencher l'"Opération
Walkyrie" et diriger le coup d'État.
L'"Opération
Walkyrie" était au départ un plan qui organisait de façon
très détaillée le déploiement de troupes de réserve vers le front.
En 1943, ces plans furent élargis et transformés en un ordre d'alerte
générale, au cas où les nombreux travailleurs étrangers et prisonniers
de guerre détenus en Allemagne déclencheraient des émeutes ;
l'état de siège aurait alors été déclaré et l'armée aurait pris le
contrôle du pays. Ce plan n'avait en soi rien à voir avec un putsch
éventuel, mais les conjurés y avaient ajouté des ordres secrets sous la
forme d'enveloppes scellées que les commandants des unités concernées
n'étaient autorisés à ouvrir que lors du déclenchement de l'"Opération
Walkyrie" par le mot clé "Walkyrie". Ces
unités auraient dû alors occuper les bâtiments du gouvernement et des
ministères, les émetteurs radio, les bureaux de téléphone et de
télégraphie, les camps de concentration, et contrôler les nœuds de
communication. De plus, ces enveloppes contenaient l'ordre de désarmer
les unités SS et d'arrêter leurs dirigeants.
Vers 14h, le chef de la SS,
Heinrich Himmler, demanda à la présidence de la police du Reich à
Berlin de charger des spécialistes d'élucider l'attentat. Il donna l'ordre
d'arrêter von Stauffenberg. Ce n'est que vers 15h que le général
Olbricht reçut à Berlin une vague information sur un attentat avec
plusieurs victimes. Mais il se décida à attendre des nouvelles de von
Stauffenberg, pour ne pas avoir à retirer l'ordre "Walkyrie"
au cas où ce ne soit qu'une feinte. A 15h, von Stauffenberg était à
Berlin et von Haeften diffusa la nouvelle de la mort de Hitler. Comme le
commandant en chef Fromm refusa de participer à l'opération, Keitel lui
ayant assuré que Hitler était toujours en vie, les conjurés
l'arrêtèrent et confièrent le commandement suprême au feld-maréchal
von Witzleben.
A
partir de 17h30 furent donnés les ordres lançant l'"Opération
Walkyrie". Il fut donné pour mission à Hoepner, un général
limogé par Hitler, d'exécuter les ordres du plan en Allemagne, puis
Ludwig Beck et Hoepner tinrent au Bendlerblock un discours
devant les chefs de sections. Le général Friedrich Olbricht, alors que
les troupes à Berlin et aux alentours étaient déjà en route pour
exécuter l'opération, hésita avant d'envoyer ses spécialistes prendre
possession des émetteurs radio et diffuser la déclaration du nouveau
gouvernement au peuple allemand, car il jugeait la situation encore trop
instable.
Un fonctionnaire du
ministère de la propagande, qui était cet après-midi-là au bataillon
de garde "Großdeutschland", put persuader le commandant qu'il
serait préférable de demander à Goebbels avant d'entreprendre quoi que
ce soit. Ce dernier fut ainsi informé du lancement de l'"Opération
Walkyrie" et en avertit Hitler, qui ordonna tout de suite une contre-attaque.
Goebbels fit diffuser à la radio la nouvelle qu'un attentat contre Hitler
avait eu lieu, mais que celui-ci était en vie. Cette contre-réaction et
l'ordre de ne pas tenir compte des ordres en provenance de Berlin
semèrent l'inquiétude dans les troupes, qui demandèrent alors au Bendlerblock
qui détenait le pouvoir de commandement.
Une
contre-attaque eut également lieu au Bendlerblock. Fromm
parvint à fuir après avoir propagé la nouvelle que Hitler était en
vie. Plusieurs officiers, qui jusqu'alors n'avaient pas pris parti,
prirent ainsi les armes pour combattre les conjurés. De plus, ils
appelèrent des troupes de renfort, alors que les troupes appelées par
les conjurés venaient de faire marche-arrière. Les conjurés furent
arrêtés, et le général Fromm fit fusiller sur le champ quatre d'entre
eux dans la cour du bâtiment : le général Olbricht, les colonels
von Stauffenberg et Mertz, ainsi que le lieutenant von Haeften. Fromm
donna à Ludwig Beck l'opportunité de se suicider.
A
Paris, contrairement à la plupart des districts militaires, où les
nouvelles annonçant la mort de Hitler et les informations contradictoires
assurant qu'il avait survécu se croisèrent et semèrent la confusion, l'"Opération
Walkyrie" fut exécutée avec davantage de succès. Le commandant
en chef Carl-Heinrich von Stülpnagel y avait tout organisé lui-même, et
certains de ses officiers, comme le lieutenant-colonel Cäsar von Hofacker,
étaient au courant de tous les détails de l'opération.
Celui-ci était un cousin de Stauffenberg ; il était non seulement
en contact avec les conspirateurs berlinois et parisiens, mais également
avec la Résistance française. Les conjurés mirent en état
d'arrestation environ 1 200 personnes du service de la sécurité, de
la SS et de la Gestapo, et allèrent voir le Generalfeldmarschall
von Kluge, qui avait la fonction d'Oberbefehlshaber West
(commandant en chef du front de l'Ouest) en France et dont l'attitude
vis-à-vis de la conjuration était restée très indécise, afin de lui
demander d'établir le contact avec les Alliés, mais celui-ci refusa. Il
destitua von Stülpnagel et von Hofacker de leurs fonctions et leur
conseilla de s'enfuir. Von Stülpnagel se résigna lorsque les mauvaises
nouvelles en provenance de Berlin se multiplièrent, et donna l'ordre de
libérer les prisonniers. Il tenta alors de se suicider et se blessa
grièvement ; il fut arrêté par la Gestapo, condamné à mort et
exécuté à Berlin-Plötzensee le 30 août 1944. Von Hofacker fut
arrêté à Paris le 26 juillet 1944, condamné à mort le 30 août 1944
et exécuté à Berlin-Plötzensee le 20 décembre 1944. Le Feldmarschall
von Kluge, après avoir reçu l'ordre de se rendre à Berlin, se suicida
le 19 août 1944 sur un champ de bataille de la Marne.
En
Allemagne commença alors une terrible chasse aux conjurés et à leurs
sympathisants. La commission chargée d'élucider l'attentat et le coup d'État était constituée de 400 hommes de la Gestapo. Par la suite
eurent lieu de très nombreux procès-simulacres sous la présidence du
juge Freisler. Des milliers de personnes, les conjurés, ainsi que leurs
proches et leur famille, en tout 5 000 à 7 000 personnes - cette méthode d'intimidation était pratiquée
de façon systématique par la Gestapo - furent arrêtées ; 5 000
personnes furent condamnées à mort et exécutées à la suite de cette
action de représailles.