L'Église protestante, obéissant traditionnellement à l'autorité de
l'État, était majoritairement pour Hitler, et souhaitait devenir
l'Église du peuple, en osmose avec la Nation. Hitler voulait créer un
"christianisme positif" qui aurait été l'une des bases du
nouveau régime, ce qui enthousiasmait beaucoup de protestants. Mais dès
1933, des voix s'élevèrent au sein de l'Église protestante pour
critiquer la politique menée par Hitler.
Ainsi, Georg Schulz, Heinrich Vogel, Dietrich Bonhoeffer, ainsi que
onze pasteurs de Westphalie rédigèrent des appels à la tolérance. Deux
jours après l'arrivée au pouvoir de Hitler, Bonhoeffer prononça une
allocution radiodiffusée condamnant le nazisme ; l'émission fut
interrompue par les nazis. Dietrich Bonhoeffer, pasteur et maître de
conférences à l'Université de Berlin, s'opposa aux "Chrétiens
allemands" avec un groupe d'étudiants révoltés comme lui par les
mesures nazies prises à l'encontre des juifs, et parvint à convaincre
une minorité de protestants de la légitimité d'une opposition à la
politique antisémite menée par Hitler et soutenue par la nouvelle
Église du Reich. En 1933, il rédigea un article, "L'Église face
à la question juive", dans lequel il rappela aux fidèles le devoir
chrétien de résistance à l'État lorsque celui-ci commet des crimes.
Bonhoeffer, lors d'une tournée de conférences aux États-Unis en 1939,
refusa d'y trouver refuge, alors qu'on lui proposait une carte de séjour
et un poste de professeur ; il préféra rentrer en Allemagne, pour tenter
d'agir sur place contre le régime nazi. Il devint directeur du séminaire
clandestin de Finkenwalde, qui se réclamait de l'Église confessante, et
qui fut fermé par les nazis en 1940. Dietrich Bonhoeffer était conscient
du fait qu'une Résistance ecclésiastique ne pourrait à elle seule
renverser le régime, c'est pourquoi il collabora activement à la
conspiration du 20 juillet 1944. Il prit de plus contact par
l'intermédiaire de son beau-frère Hans von Dohnanyi avec le groupe de
résistance formé au sein du contre-espionnage et dirigé par Hans Oster.
Bonhoeffer, afin que ses activités ne soient pas découvertes par la
Gestapo, obtint grâce à ses amis résistants du contre-espionnage un
poste d'agent secret, ce qui lui permit d'entreprendre des voyages à
l'étranger sous cette couverture. C'est ainsi qu'il put prendre contact
avec des résistants, notamment des ecclésiastiques, à l'étranger. Mais
lorsque la Gestapo démantela ce réseau de résistance en 1943,
Bonhoeffer fut arrêté et déporté en camp de concentration. Il fut
pendu le 9 avril 1945.
En 1932 se forma un groupe protestant national-socialiste, les
"Chrétiens allemands", qui réclamèrent après l'arrivée au pouvoir
de Hitler la formation d'une Église du Reich, structurée selon le "Führerprinzip"
et rejetant les juifs, ce qui se réalisa quelques
mois plus tard. L'Église protestante, désormais dirigée par les "Chrétiens allemands", était devenue un instrument entre les mains
de Hitler. En septembre 1933 fut organisé le "synode brun" ;
la majorité des responsables ecclésiastiques s'y rendirent en uniforme
nazi. Il fut décidé, malgré l'opposition des adversaires des "Chrétiens allemands", que les pasteurs qui n'étaient pas aryens
seraient exclus de l'Église du Reich ; 70 responsables ecclésiastiques
suivirent l'exemple du pasteur Koch et quittèrent alors la salle en signe
de protestation.
Quelques semaines plus tard, le pasteur Martin Niemöller appela les
pasteurs hostiles à ces mesures antisémites à s'unir au sein d'une
nouvelle organisation, le "Pfarrernotbund", la "Ligue
d'urgence des pasteurs", qui respecterait les principes de
tolérance énoncés par la Bible et la profession de foi réformatrice.
Cet appel eut un grand écho : à la fin de l'année 1933, 6 000 pasteurs,
soit plus d'un tiers des ecclésiastiques protestants, s'étaient joints
à ce groupe dissident. La "Ligue d'urgence des pasteurs",
soutenue par des protestants à l'étranger, adressa au synode une lettre
de protestation contre les mesures d'exclusion et de persécution prises envers
les juifs et envers les pasteurs refusant d'obéir aux nazis. Malgré les
protestations, Martin Niemöller fut déchu de ses fonctions de pasteur et
mis prématurément à la retraite au début du mois de novembre 1933.
Mais la grande majorité des croyants de sa paroisse décida de lui rester
fidèle, et il put ainsi continuer à prêcher et à assumer ses fonctions
de pasteur.
Le 13 novembre 1933, lors d'une manifestation des
"Chrétiens
allemands" au Palais des Sports de Berlin, un pasteur nazi déclara
que l'Ancien Testament et des passages du Nouveau Testament n'étaient que
des superstitions, et se réclama d'une nouvelle profession de foi qui
mettrait l'accent sur les valeurs héroïques de l'idéologie nazie,
soi-disant défendues par Jésus. Il s'agissait de transformer l'Église
du Reich en un instrument de propagande diffusant l'idéologie nazie, et
n'ayant plus rien à voir avec les véritables principes chrétiens. Ce
scandale déclencha une nouvelle vague de protestations ; Martin
Niemöller s'éleva contre ce reniement de la foi chrétienne. En 1934, il
fut convoqué par Hitler et Göring et sa maison fut perquisitionnée ;
les nazis espéraient trouver des pièces à conviction leur permettant de
se débarrasser de lui, mais durent le relâcher en raison de sa grande
popularité.
Parallèlement à la "Ligue d'urgence des pasteurs" se
formèrent dans plusieurs régions de l'Allemagne des "synodes
libres". Ainsi, en Westphalie, des fidèles réunis sous la
direction du pasteur Koch refusèrent d'obéir aux ordres donnés par le
régime nazi. La Gestapo empêcha les membres de ces groupes de se
réunir. Une manifestation de protestation, à laquelle prirent part 30 000
personnes, fut organisée à Dortmund, et d'autres "synodes libres" virent le jour dans d'autres régions de l'Allemagne. Des pendants
régionaux de la "Ligue d'urgence des pasteurs", les "Bruderräte", les
"conseils de frères", virent le jour
et se rassemblèrent en un "Reichsbruderrat", un "conseil de frères du Reich", qui s'unit aux
"synodes libres".
Un "synode libre" national se réunit en mai 1934 à
Barmen, en Rhénanie du Nord - Westphalie. Les ecclésiastiques présents,
qui étaient les véritables héritiers de l'Église protestante,
déclarèrent qu'ils refusaient d'obéir à l'Église du Reich manipulée
par les nazis, appelèrent les fidèles à suivre les principes de la
Bible et de la profession de foi réformatrice, délimitèrent les domaines de
compétence de l'État et de l'Église, et refusèrent ouvertement la création
d'un État totalitaire auquel serait soumise l'Église. A la suite de
cette déclaration, des mesures furent prises contre les opposants, qui
furent poursuivis, démis de leurs fonctions, arrêtés et contraints au
silence. Mais la résistance ecclésiastique se poursuivit ; des
manifestations d'ecclésiastiques et de fidèles eurent lieu pour
protester contre les révocations de pasteurs, et lors du deuxième "synode libre" national, à la fin de l'année 1934, les opposants
rompirent définitivement avec l'Église du Reich, appelèrent les
pasteurs et les fidèles à désobéir à cette Église, et à se
rassembler au sein d'une "Bekennende Kirche", l'"Église
confessante" respectant les principes chrétiens.
Le régime hitlérien réagit en interdisant la publication de tout
écrit théologique n'allant pas dans le sens de l'idéologie de l'Église
du Reich, en infligeant de lourdes amendes aux membres des "conseils
de frères", et en suspendant de leurs fonctions ou en arrêtant des
pasteurs ; le travail des résistants se poursuivit alors de façon
clandestine. Le "synode libre" de Prusse décida de publier
tout de même une déclaration contestant l'autorité du régime nazi, en
objectant qu'il n'avait aucune justification divine, et appelant au rejet
de l'idéologie raciste nazie et du régime totalitaire hitlérien. 500
pasteurs furent arrêtés, puis certains d'entre eux furent libérés, en
raison de la protestation massive contre ces mesures. Mais la Gestapo ne
renonça pas aux persécutions. Pendant l'été 1935, 27 pasteurs furent
déportés en camp de concentration. En 1935, les synodes de
Berlin-Steglitz et de Dresde eurent malgré tout le courage de se
prononcer contre les lois raciales de Nuremberg.
Le combat entre la dictature et l'Église confessante se durcit encore
en 1936, lorsque les opposants publièrent un mémorandum condamnant
l'idéologie et les pratiques du régime hitlérien, et réclamant la
dissolution de la Gestapo ainsi que la fermeture des camps de
concentration. Des dirigeants de l'Église confessante, dont le pasteur
Niemöller, furent arrêtés. Le juriste Friedrich Weißler, qui avait
participé à la rédaction du mémorandum, fut arrêté et déporté ; il
mourut en 1937 au camp de concentration de Sachsenhausen. Le pasteur Paul
Schneider, un antinazi déclaré, fut déporté en novembre 1937,
torturé, et finalement assassiné le 18 juillet 1939 au camp de
concentration de Buchenwald par une injection de poison.
La popularité de Martin Niemöller était telle que le soutien de
l'étranger ne se fit pas attendre : deux jours après son arrestation,
l'évêque de Londres, Bell, qui dirigeait le mouvement œcuménique,
publia un article de protestation dans le Times et déposa une plainte
officielle à Berlin. Des manifestations eurent lieu en Allemagne pour
réclamer la libération de Niemöller ; la police essaya sans succès de
disperser les fidèles, qui continuèrent à manifester ; à Berlin, 250
personnes furent arrêtées. Himmler décida de fermer tous les
séminaires se réclamant de l'Église confessante. Le procès de Martin
Niemöller commença en 1937, et le jugement fut prononcé en 1938. Le Reichsgericht
le condamna à une amende ainsi qu'à sept mois de
détention. Comme il avait déjà purgé cette peine en détention
préventive, il fut relâché, mais la Gestapo l'arrêta immédiatement
après le procès et le déporta au camp de concentration de Sachsenhausen
puis à celui de Dachau,
où il eut le statut de prisonnier personnel du Führer. Malgré les
protestations internationales, il dut rester en camp de concentration
jusqu'à la fin de la guerre.
En 1938, après l'annexion de l'Autriche, et alors que les intentions
belliqueuses de Hitler devenaient de plus en plus évidentes, les pasteurs
Albertz et Böhm, de l'Église confessante, célébrèrent une messe en
faveur de la paix. Cette même année fut fondé le "bureau Grüber" qui apportait son soutien aux protestants d'origine juive en leur
proposant une aide juridique et en les aidant à trouver un pays
d'accueil. Le pasteur Heinrich Grüber, qui dirigeait cette organisation
d'aide aux persécutés, fut arrêté en 1940 et déporté au camp de
concentration de Sachsenhausen puis à Dachau. L'un de ses collaborateurs,
Werner Sylten, un membre de l'Église confessante d'origine juive, fut
arrêté en 1941, déporté au camp de concentration de Dachau et
assassiné. Gertrud Staewen, une pédagogue membre de l'Église
confessante, dont les livres furent interdits par les nazis, créa elle
aussi avec Franz Kaufmann, un ancien haut-fonctionnaire d'origine
juive, une organisation clandestine qui fournissait de faux-papiers et des
cartes de rationnement aux juifs ; elle fut arrêtée par la Gestapo mais
put survivre à la guerre, contrairement à Franz Kaufmann, qui fut
arrêté en 1943, torturé, déporté en camp de concentration et
assassiné le 17 février 1944 au camp de concentration de Sachsenhausen.
Mais ces actions courageuses se firent de plus en plus rares, et la
politique ecclésiastique du Troisième Reich se durcit davantage à
partir de 1938. Les nazis publièrent en 1939 la Déclaration de
Godesberg,
qui fixa les grandes lignes de l'idéologie de l'Église du Reich.
Celle-ci fut désignée comme l'héritière des idées de Luther ; la
persécution des juifs fut une fois de plus présentée comme nécessaire,
et toute collaboration ecclésiastique entre les protestants allemands et
des organisations internationales fut qualifiée de "dégénérescence
politique du christianisme, en contradiction avec l'ordre de la Création".
Cette déclaration suscita l'indignation de nombreux pasteurs, qui refusèrent d'y apposer leur signature. Le régime nazi réagit en
persécutant encore plus les membres de l'Église confessante.
Pendant la guerre, la Gestapo bénéficiait de pleins pouvoirs
exceptionnels, et put faire régner la terreur sans se préoccuper de
conserver les apparences d'un État de Droit. Les persécutions à
l'encontre des résistants ecclésiastiques s'accentuèrent. Des mesures
disciplinaires furent prises à l'encontre des pasteurs ayant soutenu
l'Église confessante, certains d'entre eux furent arrêtés, d'autres
parvinrent à échapper aux persécutions en devenant aumôniers
militaires.
Les protestations concernant les crimes commis au front, le génocide
des juifs et l'euthanasie d'invalides et de malades mentaux furent
étouffées par des vagues d'arrestations. Dans le régime de terreur nazi,
quiconque objectait une critique à l'égard de l'État était
immédiatement arrêté et déporté. Mais le travail de l'Église
confessante se poursuivit de façon clandestine ; l'aide aux persécutés
fut l'un des axes principaux de cette résistance. Certains pasteurs,
comme Helmut Gollwitzer à Berlin, continuèrent à condamner les
exactions commises par les nazis et à prêcher ouvertement pour la paix
et la tolérance au sein de leur paroisse.
Des adolescents militant au sein de mouvements de jeunesse protestants
- qui étaient tolérés par les nazis à condition qu'il n'y soit
question que de religion - s'engagèrent eux aussi contre le nazisme.
Après l'interdiction de tous les mouvements de jeunesse non-nazis, en
1936, des organisations continuèrent à exister dans la clandestinité.
La revue protestante "Jungenwacht" put être diffusée
jusqu'en 1938, et des adolescents protestants distribuèrent des tracts
antinazis ainsi que des sermons du pasteur Niemöller.
Après l'arrestation de Martin Niemöller, Theophil Wurm, évêque du
Wurtemberg, prit sa succession à la tête de l'Église confessante. Il
protesta à plusieurs reprises contre les crimes nazis, notamment en 1940
contre l'assassinat d'invalides et de malades mentaux, et en 1941 contre
la déportation des juifs. Il entra en contact avec Friedrich Bonhoeffer,
avec le groupe de Carl Goerdeler et avec le Cercle de Kreisau et s'engagea
ainsi dans la résistance politique.
La résistance de protestants, réunis pour la plupart au sein de
l'Église confessante, consistait au début en des oppositions internes
portant sur des principes théologiques, sans qu'il soit pour autant
question de s'opposer à l'autorité de l'État. Mais peu à peu, les
limites du devoir d'obéissance à l'État sont devenues plus claires pour
certains pasteurs, qui ont refusé de servir la dictature, et se sont
engagés au nom des principes chrétiens dans la voie de la résistance
politique et morale.