Les exilés
allemands qui ont résisté au national-socialisme venaient d'horizons différents.
Divisés, voire opposés sur le plan politique, religieux ou culturel, ils avaient
pourtant des objectifs communs : incarner à l'étranger une autre image de l'Allemagne et
entreprendre tout ce qui était en leur pouvoir pour contribuer à la chute de la
dictature nazie.
L'exil avait
besoin de l'opposition au sein du Reich pour légitimer sa revendication de
représentation d'une autre Allemagne, mais aussi pour combattre son
isolement. Cette tâche était particulièrement ardue, car le "syndrome de
Vansittart" sévissait pendant la guerre dans les pays alliés. Robert Vansittart
était un prétendu représentant du Foreign Office, qui a soutenu à partir de 1940 dans de
nombreux discours radiodiffusés que l'autoritarisme, le militarisme, l'impérialisme et la tendance au mépris de l'humanité étaient dans la nature
même du peuple
allemand. L'une des tâches essentielles des émigrants allemands résistants était de
prouver à l'opinion mondiale qu'il n'en était rien, et que des forces démocratiques
allemandes luttaient contre l'hitlérisme. Il s'agissait également pour les Allemands
démocrates exilés d'éviter la mise en application des plans alliés de la division du
Reich après la défaite nazie, et de tenter d'influencer les gouvernements alliés pour
que l'Allemagne ait une place dans l'Europe de l'après-guerre.
Par ailleurs,
la propagande nazie minimalisait et diffamait la résistance allemande, et il fallait
convaincre l'étranger de la réalité de cette opposition, y compris à l'intérieur du
Reich. Mais il s'agissait également pour les exilés résistants, soumis même à
l'étranger aux représailles des autorités nazies, de se procurer des informations sur
ce qui se passait en Allemagne, ainsi que de faire passer clandestinement des tracts, des
messages et de la littérature censurée. La résistance des exilés, au delà de ses
fonctions de représentation, d'information à l'étranger et de soutien de
la résistance en Allemagne, jouait donc également un rôle d'intermédiaire, de passeur entre la
résistance intérieure et l'étranger.
Résistance politique
Résistance armée
Résistance culturelle
Résistance religieuse
Résistance scientifique
Aide aux réfugiés
Représailles nazies
Bilan
Résistance politique
Les objectifs de cette forme de résistance étaient de soutenir les
résistants restés dans le Reich et d'informer l'opinion mondiale sur la nature
répressive et criminelle du régime nazi. Il s'agissait également de trouver des alliés
à l'étranger pour isoler politiquement, moralement et économiquement le Reich et le
mettre sous pression, afin de contribuer à la chute du régime nazi, mais
aussi de poser les bases théoriques et idéologiques pour la
reconstruction d'une Allemagne démocratique après la guerre.
L'EXIL DES PARTIS
POLITIQUES
sociaux-démocrates
(SPD)
La SOPADE, direction exilée du SPD, s'installa en 1933 à
Prague, puis en 1938 à Paris, et trouva finalement refuge en juin 1940
à Londres. Ses objectifs étaient d'informer l'étranger sur la nature
du régime hitlérien, de diffuser clandestinement des tracts dans le
Reich, de soutenir les groupes de résistance sociaux-démocrates
restés en Allemagne, et de mettre en place des réseaux permettant à
des persécutés de fuir l'Allemagne.
communistes
(KPD)
Selon les instructions de Moscou, seuls les plus hauts
fonctionnaires du parti qui avaient pu échapper à l'arrestation par
les nazis s'exilèrent en 1933 en URSS, où fut fondé le comité
central et le bureau politique exilés du KPD. Ernst Thälmann, le
dirigeant du parti, et Ernst Torgler, le chef de la fraction communiste
au Reichstag, avaient été arrêtés en février-mars 1933. Les autres
membres du parti devaient rester dans le Reich afin de provoquer un
"soulèvement antifasciste de masse" en Allemagne. Selon les
instructions de Staline, leur rôle consistait à combattre non
seulement les nazis, mais aussi les sociaux-démocrates, qualifiés de
"sociaux-fascistes". En 1935-36, la tentative de former un Front populaire contre le nazisme avec les
sociaux-démocrates se solda par un échec, car ceux-ci refusèrent de
se plier aux directives de Moscou. A partir de 1945, les dirigeants
communistes exilés à Moscou furent nommés à des postes clefs de
l'administration dans la zone d'occupation soviétique, puis prirent la
direction du parti SED ("Sozialistische Einheitspartei
Deutschlands") et du gouvernement lors de la création de la
RDA.
libéraux
Les politiciens centristes exilés Carl Spiecker et Otto
Klepper fondèrent à la fin de l'année 1937 à Paris le DFP, Parti
de la Liberté allemand ("Deutsche Freiheitspartei"),
qui poursuivit ses activités à Londres après l'occupation de la
France par l'armée allemande. Hans
Albert Kluthe, membre du DFP, fut
le rédacteur en chef du journal libéral exilé "Das wahre
Deutschland - Auslandsblätter der deutschen Freiheitspartei",
et établit le programme de la radio antifasciste allemande "Deutscher
Freiheitssender" qui émettait à partir d'Angleterre. Le DFP
avait par l'intermédiaire de Carl Spiecker des contacts avec Goerdeler
et son groupe de résistance.
TENTATIVES
D'UNION
DES FORCES RÉSISTANTES
Front populaire
allemand
De célèbres exilés allemands, notamment Wilhelm Pieck,
Walter Ulbricht, Willy Brandt, Ernst Bloch, Lion Feuchtwanger, Heinrich
et Klaus Mann et Ernst Toller, apposèrent leur signature à un appel à
la formation d'un Front populaire allemand ("Deutsche Volksfront"),
publié à Paris le 19 décembre 1936. L'expérience
de ce Front populaire allemand se solda par un échec, en raison des frictions et des
oppositions politiques entre les divers partis ; dès 1937, le
Front se disloqua, avant d'être dissous officiellement en 1939 en
raison du pacte conclu entre Hitler et Staline.
Union
franco-allemande
Au mois de mai 1939 naquit l'Union franco-allemande ; ses fondateurs, parmi lesquels
les émigrants allemands Alfred Döblin, Franz Werfel, Otto Klepper, Willi Münzenberg et
Hermann Rauschning, et les Français Paul Boncour et Yvon Delbos, anciens ministres des
Affaires étrangères, se sont engagés pour la préservation de la paix et la
cohabitation pacifique des nations européennes, sur la base des valeurs humanistes
traditionnelles de la civilisation occidentale.
"Council for a
Democratic Germany" (CDG)
En 1944 fut fondé aux États-Unis le "Council for a Democratic Germany"
(CDG), présidé par Paul Tillich ; l'objectif de cette organisation
était de représenter à l'étranger les forces démocratiques allemandes de tous les
horizons politiques. Le CDG a ébauché un programme pour une
Allemagne démocratique après la guerre, s'est résolument opposé à la division du pays
après la défaite nazie, et a réclamé d'autre part une dénazification par
l'éducation des Allemands à la démocratie, en souhaitant que cela soit fait par
d'anciens exilés allemands. Le CDG fut un échec, car les décisions
devaient être prises à l'unanimité, ce que les oppositions internes entre les
représentants des divers partis rendirent impossible.
Comité national de
l'Allemagne libre ("Nationalkomitee Freies Deutschland",
NKFD)
Ce comité fut fondé en 1943 par la section politique de l'armée soviétique et
par le comité central du KPD exilé à Moscou ; ses objectifs étaient, au moyen
d'un travail de propagande, de détourner les prisonniers de guerre allemands du nazisme
et d'encourager les soldats allemands à déserter. Le NKFD tentait de rallier toutes les
tendances politiques à l'union contre Hitler ; dans ses rangs, on ne comptait pas
uniquement des communistes, mais aussi, par exemple, une centaine de pasteurs, prêtres et
étudiants en théologie de la Wehrmacht, prisonniers dans les camps russes, qui se sont
joints au NKFD en raison des persécutions dont étaient victimes les
Églises dans le
Reich. Les communistes, notamment Wilhelm Pieck et Walter Ulbricht, futurs dirigeants de
la RDA, ont finalement pris la tête du NKFD, qui est devenu un instrument de
propagande entre les mains du gouvernement soviétique.
L'Autre
Allemagne ("Das Andere Deutschland") et Allemagne Libre ("Freies Deutschland")
En 1937 fut fondé en Argentine le comité L'Autre
Allemagne ("Das Andere Deutschland"), et en
1941-42 naquit au Mexique le mouvement Allemagne Libre ("Freies
Deutschland"). En 1943, ces deux comités créèrent des
organismes de coordination dans toute l'Amérique latine, où vivaient
beaucoup d'Allemands, et où s'opposaient nazis et résistants
allemands. D'inspiration communiste tout comme le NKFD, ces
comités, dont Heinrich Mann avait la charge honorifique, regroupaient
toutefois des résistants allemands de tous les horizons politiques et
idéologiques. Leur travail consistait à informer l'opinion mondiale en
diffusant des publications antifascistes et à développer des concepts
pour la nouvelle Allemagne d'après-guerre.
Les projets d'union des différents mouvements de résistance exilés échouèrent
notamment en raison des divergences politiques. La volonté du journaliste
exilé à Londres Sebastian Haffner, de son vrai nom Raimund Pretzel, de
former un gouvernement allemand exilé qui disposerait de son propre
service de propagande et d'une organisation d'aide aux réfugiés, ne put
s'imposer en raison des divisions internes entre les divers mouvements de
résistance, et la Résistance allemande n'avait donc pas
d'organe unifiant les forces ni de gouvernement exilé susceptible de représenter politiquement "l'autre
Allemagne" à l'étranger.
Résistance armée
Environ 5 000 Allemands,
pour la plupart des communistes et des socialistes, se sont engagés à partir de 1936 dans la
guerre civile d'Espagne
aux côtés des
Républicains, au sein des Brigades Internationales ; les deux tiers d'entre eux sont
morts au combat.
Pendant la guerre, des Allemands ont également combattu dans les armées alliées,
comme par exemple les écrivains Klaus Mann, qui a combattu aux côtés des Américains,
et Stefan Heym, qui a travaillé pour les services de propagande de l'armée
américaine. Des déserteurs se
sont également joints aux armées alliées.
D'autres Allemands ont choisi de s'engager dans les mouvements de résistance des pays occupés.
Ainsi, à partir de
1941, plusieurs centaines d'Allemands se sont engagés dans la Résistance française,
notamment dans la division Travail anti-allemand du Front National de
Libération (FNL). Leur tâche consistait à apporter leur aide dans tous les
domaines pour lesquels des connaissances linguistiques ou de civilisation étaient
nécessaires, comme l'espionnage, la prise de contact avec des Allemands, et
la diffusion de
propagande antifasciste au sein de l'armée allemande. De nombreux Allemands, surtout des
communistes, ont également résisté et combattu dans le maquis aux côtés des
Francs-tireurs et Partisans Français (FTPF). D'autres résistants
allemands se sont engagés dans les mouvements gaullistes. Au
printemps 1944 s'est constitué dans le maquis français, sur le modèle du Comité
National de l'Allemagne libre ("Nationalkomitee Freies Deutschland") fondé
à Moscou, un Comité de l'Allemagne libre pour l'Occident (Komitee
"Freies Deutschland für den Westen"), qui a été reconnu après la
libération de la France comme une division à part entière de la Résistance française.
D'autres Allemands ont rejoint la Résistance grecque (ELAS), comme par exemple Falk Harnack,
membre du groupe de résistance La Rose Blanche ("Die Weiße Rose") et
frère d'Arvid Harnack, l'un des fondateurs du mouvement résistant L'Orchestre
rouge ("Die Rote Kapelle"). Falk Harnack a déserté pour rejoindre
l'ELAS, et a fondé le Comité antifasciste de soldats allemands ("Antifaschistisches
Komitee deutscher Soldaten", AKFD). Et
Willy Brandt,
futur chancelier allemand, a combattu au sein de la Résistance norvégienne.
Résistance
culturelle
L'écriture
de l'exil dénonçait le national-socialisme, informait l'opinion mondiale sur la nature
de la dictature nazie en diffusant des journaux comme le Pariser Tagesblatt, des
brochures, des livres ou des tracts antifascistes, en rédigeant des articles pour la
presse étrangère (Heinrich Mann par exemple collaborait à la Dépêche de Toulouse),
mais traitait également de l'exil, des difficultés à être apatride, clandestin,
constamment en fuite. Les résistants ont organisé des conférences et des expositions,
ont monté des cabarets satiriques, ont mis en scène des pièces de théâtre allemandes
interdites en Allemagne, et ont fondé des comités de lutte antifasciste. Il
s'agissait d'une
résistance intellectuelle qui s'est exprimée de façon individuelle dans des oeuvres
littéraires ou des actions ponctuelles, mais qui a également donné lieu à la création
de cercles de réflexion et de publications antifascistes destinées à éveiller et faire réagir
les consciences contre la dictature hitlérienne. C'est ainsi qu'a été
publié en juillet 1933 le Livre brun sur l'incendie du Reichstag et le
régime de terreur hitlérien ("Braunbuch über Reichstagsbrand
und Hitlerterror"), traduit en quinze langues, dont 70 000
exemplaires furent diffusés dès les quatre premiers mois, et qui fut tiré
en tout à plus d'un demi-million d'exemplaires. Et en 1934 fut créée
à Paris sur l'initiative de Heinrich Mann, André Gide et Romain Rolland
une Bibliothèque des livres brûlés en Allemagne ("Deutsche
Freiheitsbibliothek", littéralement la Bibliothèque
allemande de la Liberté), qui rassemblait des oeuvres qui avaient
été interdites et brûlées par les nazis lors de l'autodafé de livres
en 1933.
L'offensive
de la vérité menée par ces résistants allemands exilés prit de
l'ampleur. Plus de 400 journaux, revues et bulletins
d'information furent publiés par les résistants émigrés, dont une grande partie
put être diffusée clandestinement dans le Reich. L'Association de défense des écrivains
allemands ("Schutzverband deutscher Schriftsteller"), fondée à Paris, diffusait
ainsi clandestinement en Allemagne des journaux, revues et discours antifascistes. Ces
périodiques informaient non seulement les Allemands du Reich et les exilés, mais
également les politiciens, gouvernements et journalistes de l'étranger. Citons par
exemple Das Wort, publication antifasciste allemande créée par Feuchtwanger,
Brecht et Bredel à Sanary-sur-Mer (la "capitale de la littérature allemande de
l'exil", comme l'a nommée Ludwig Marcuse, où près de deux cents auteurs allemands
ont trouvé provisoirement refuge), ou encore Die Sammlung, revue éditée par
Klaus Mann à Amsterdam, Die neuen deutschen Blätter (Prague), Der Wiener
Bücherwurm, Der Gegen-Angriff (Prague), Der deutsche Weg (revue
éditée aux Pays-Bas par l'anthropologue catholique Friedrich Muckermann), Das
deutsche Volksecho (revue publiée par Stefan Heym à New-York de 1937 à 1939), la
revue Frontpost, destinée aux soldats allemands, publiée par Stefan
Heym dans
le cadre de la guerre psychologique menée par l'armée américaine, les éditions Allert
de Lange, fondées à Amsterdam par Hermann Kesten, ou encore la revue Cahiers du
Sud de Jean Ballard, lieu d'expression pour les écrivains et journalistes
antifascistes allemands.
En 1933 fut fondée à Paris l'Impress, agence de presse
indépendante créée par Kurt Rosenfeld et Sandor Rado ; elle fournit jusqu'en 1936 des
extraits de la presse allemande et des commentaires critiques sur l'Allemagne
nazie.
Le travail des
agences de presse, des
journalistes et des conférenciers, diffusé dans la presse écrite mais aussi à la
radio, sans oublier les livres écrits par de grands écrivains exilés comme Thomas Mann,
les récits de persécution et de fuite, et les ouvrages rédigés par des politiciens
exilés de la République de Weimar, permirent d'informer l'opinion mondiale sur la
nature du régime nazi.
Cette forme de
résistance débuta bien avant la guerre : Ernst Toller et Lion Feuchtwanger
reconnurent très tôt le danger et dénoncèrent Hitler dans leurs livres bien avant son
arrivée au pouvoir. Joseph Roth, Thomas Mann, Kurt Tucholsky et Carl von Ossietzky
étaient eux aussi depuis longtemps des ennemis déclarés du nazisme. Mais leurs prises
de position et leur engagement ne furent pas suffisamment pris au sérieux et ne purent
empêcher l'arrivée au pouvoir des nazis.
Environ 2 500
écrivains germanophones s'exilèrent pour des raisons racistes ou politiques, car ils
risquaient leur vie en Allemagne. Mais ces écrivains avaient des convictions politiques
et intellectuelles tellement différentes qu'ils n'ont pu parvenir à s'unir. Le
1er
Congrès international d'écrivains pour la défense de la culture,
organisé par l'Association de défense des écrivains allemands ("Schutzverband
deutscher Schriftsteller", SDS) eut lieu à Paris
en 1935 ; des écrivains français, notamment André Gide, André
Malraux, Henri Barbusse, Paul Eluard et Aragon, y participèrent. Cette
manifestation trouva un grand écho dans la presse internationale, mais
souligna encore plus les divergences idéologiques profondes entre les
exilés et leur incapacité à s'unir, même s'ils partageaient le même
sort et la même hostilité envers Hitler.
En dépit de ces divisions, la littérature de l'Exil a
tout de même atteint son objectif, qui était de combattre la terreur nazie avec l'arme
que représentent les mots : les écrivains et journalistes exilés purent contribuer à
mobiliser l'opinion mondiale contre la terreur nazie, diffuser des informations politiques
grâce à leurs réseaux d'informateurs restés dans le Reich, et former ainsi un efficace
instrument de contre-propagande redouté par le régime nazi. Les persécutions dont
furent victimes les écrivains et journalistes pendant le Troisième Reich en sont la
preuve ; la politique culturelle du Reich consistait à éliminer les contestataires,
surveiller les maisons d'éditions, censurer, et brûler les livres mis à l'index. Les
écrivains, qui s'étaient pour la plupart exilés, formaient la majorité des
personnalités pour lesquelles les nazis avaient engagé des demandes d'extradition. Les
personnalités les plus représentatives de l'exil et les plus respectées par l'ensemble
de l'opinion internationale étaient d'ailleurs des écrivains comme Heinrich Mann ou son
frère Thomas Mann, et non d'anciens ministres et parlementaires de la République de
Weimar ou des dirigeants de partis.
Résistance religieuse
Le pasteur
Hermann Maas fit en 1933 un voyage en Palestine afin de trouver des
possibilités de fuite pour les juifs allemands. Ce réseau donna naissance
au Comité ecclésiastique international d'aide aux réfugiés
allemands ("Internationales kirchliches Hilfskomitee für
deutsche Flüchtlinge").
Il faut souligner également les initiatives
individuelles, comme celle du Père jésuite Friedrich Muckermann, réfugié aux
Pays-Bas, qui parvint à diffuser
clandestinement en Allemagne des tracts antinazis dans des cercles religieux en Rhénanie et en Westphalie.
Des adolescents, comme Theo Hespers, Walter
Hammer et Karl Paetel, ont pu à partir de leur pays d'exil diffuser des
journaux et des tracts antinazis en Allemagne.
Résistance scientifique
Les scientifiques dont les
travaux étaient déconsidérés par les autorités allemandes ou qui étaient d'origine
juive se sont pour la plupart exilés en Angleterre ou aux États-Unis, où ils ont
travaillé pour les gouvernements étrangers, y compris pour l'élaboration de nouvelles
armes et technologies. Albert Einstein, au delà de son travail scientifique, a également
profité de sa notoriété mondiale pour s'engager activement dans la lutte politique au
moyen de conférences, d'interventions dans des universités et d'articles de
journaux.
Aide aux réfugiés
Kurt Grossmann, secrétaire de la Ligue des Droits de l'Homme allemande, s'exila en Tchécoslovaquie. Il créa à Prague
l'Organisation démocratique d'assistance aux réfugiés ("Demokratische Flüchtlingsfürsorge"), qui venait en aide aux pacifistes allemands exilés en Tchécoslovaquie.
Les communistes
créèrent des réseaux qui permettaient à des persécutés de fuir
l'Allemagne, ainsi qu'une organisation venant en aide aux réfugiés, l'Aide
Rouge Internationale ("Internationale Rote
Hilfe").
Représailles nazies
L'Offensive
de la Vérité ("Wahrheitsoffensive") menée par les exilés résistants
contrecarrait la stratégie de propagande nazie qui consistait à minimiser le danger et
à masquer les intentions réelles du gouvernement national-socialiste. Les résistants
exilés revendiquaient la représentation d'une autre Allemagne, ce qui contredisait la
prétention nazie d'une identité totale entre le gouvernement et l'État, le
national-socialisme et l'Allemagne. La propagande nazie tentait d'établir un monopole sur
tout ce qui était allemand, en l'adaptant à sa propagande. La mythologie germanique et
l'œuvre de Nietzsche ont été ainsi galvaudées à des fins de propagande. Les
résistants exilés qui tentaient de préserver l'héritage de la tradition culturelle
allemande et de la démarquer du régime nazi représentaient donc un danger pour
celui-ci. Le gouvernement national-socialiste a par conséquent tenté par tous les moyens
d'éliminer cette opposition : propagande nazie, interventions diplomatiques,
surveillance des exilés et de leurs activités à l'étranger par des agents de la
Gestapo et par les consulats et ambassades allemands, demandes d'extradition, internement
en camp de concentration en cas de retour en Allemagne, privation de la nationalité
allemande, confiscation des biens, prise en otage de la famille des exilés ou encore
enlèvements et meurtres.
propagande nazie
La propagande
de Goebbels opposait de façon systématique aux informations antinazies publiées à
l'étranger par des exilés des démentis et des déclarations officielles. En présentant
les exilés comme des informateurs peu dignes de foi, la dictature nazie tentait de
neutraliser l'opposition au régime, mais aussi de conserver à l'étranger l'illusion que
le Reich restait un État de Droit, et par là même un partenaire comme les autres dans
les relations diplomatiques internationales. L'arme la plus efficace de la
contre-propagande nazie consistait à jouer avec la peur du communisme des gouvernements
étrangers. Étant donné que la grande majorité des émigrants étaient des communistes,
qui avaient dû fuir pour échapper aux poursuites qui les menaçaient en Allemagne et à
l'internement dans des camps de concentration, cet argument de la propagande nazie était
plausible, et a contribué à discréditer les activités des résistants allemands
exilés. En 1933, le premier ministre anglais, Lloyd George, a ainsi déclaré dans un
article de journal que l'Allemagne constituait un rempart au communisme, et que la chute
du régime nazi entraînerait inévitablement l'anarchie et la prise du pouvoir par les
communistes ("Communism must follow if Hitler fails"). Le danger que représentait
Hitler a ainsi été souvent sous-estimé ou relativisé à l'aune de la "menace
communiste".
interventions
diplomatiques
Les tentatives d'intimidation
des gouvernements étrangers par des interventions
diplomatiques furent très nombreuses et systématiques. La pression diplomatique exercée
par le gouvernement nazi était considérable et laissait souvent peu de liberté de
manœuvre aux pays concernés. Ainsi, en 1933, les autorités allemandes ont obtenu du
ministère des Affaires étrangères grec l'annulation d'un projet de permis d'entrée
dans le pays pour mille intellectuels et politiciens allemands émigrés, en insinuant que
la présence de tels fugitifs en Grèce "nuirait considérablement aux excellentes
relations diplomatiques entre les deux pays", et que cela entraînerait tôt ou tard de
graves difficultés. Les exemples d'interventions diplomatiques ne manquent pas ;
ainsi, le régime nazi a tenté à plusieurs reprises, au moyen de demandes
d'extradition auprès des gouvernements étrangers, de faire revenir de force des
résistants allemands en Allemagne, afin de les mettre "hors d'état de nuire".
Les motifs de ces demandes d'extradition étaient la plupart du temps des calomnies ;
les personnes concernées étaient souvent accusées de délits tels que la corruption ou
le recel de biens, car les autorités allemandes ne voulaient en aucun cas que des
accusations d'ordre politique suscitent des problèmes diplomatiques. En effet, la
pression de l'opinion internationale était considérable ; la presse et les
organisations humanitaires déclenchaient systématiquement des campagnes de presse contre
l'Allemagne, en l'accusant de violer le droit d'asile. Ces demandes d'extradition furent
parfois vouées à l'échec grâce au refus des pays concernés de livrer les exilés.
Ainsi, lorsqu'en 1934, l'Allemagne a demandé à la Suisse de lui livrer le communiste
Heinz Neumann, soi-disant coupable de meurtre, le gouvernement suisse n'a pas cru à cette
accusation infondée et a refusé de livrer Neumann aux nazis. Peter Forster fut par
contre livré à l'Allemagne en 1938 par le gouvernement tchécoslovaque. Ce cas a
suscité une violente controverse ; Forster avait tué un gardien SS lors de sa fuite
du camp de Buchenwald ; il avait trouvé refuge en 1938 dans la partie de la
Tchécoslovaquie qui n'était pas encore occupée par les Allemands. Le gouvernement nazi
exigea l'extradition de Forster, ce que la Tchécoslovaquie pouvait difficilement refuser,
en raison de la situation politique très tendue entre les deux pays, à peine un mois
après la conférence de Munich. Les tentatives diplomatiques entreprises pour sauver
Forster échouèrent ; il fut arrêté en décembre 1938 dans un aéroport, alors
qu'il tentait de prendre la fuite, et les nazis le pendirent au camp de Buchenwald, d'où
il avait fui quelques mois auparavant.
Les demandes
d'extradition ont parfois donné lieu à des accords avec des gouvernements étrangers,
comme entre les polices politiques du Reich et de la Hongrie, pour livrer
les émigrants ou prendre des mesures contre des exilés. Certains pays ont également
pris des mesures contre les résistants allemands dans le cadre de la politique de l'Appeasement,
pour éviter tout conflit avec le régime hitlérien ; ainsi, lorsque les Pays-Bas
ont emprisonné des émigrants allemands communistes, cette décision, qui allait
totalement dans le sens de la politique hitlérienne, fut saluée par la presse nazie.
D'autres interventions locales, comme celle du chef de la police de Stockholm, qui a
interdit la distribution de tracts antinazis aux marins et voyageurs, ont également
contribué à entraver les initiatives des résistants allemands, et furent louées par le
régime hitlérien.
Les
interventions diplomatiques visaient également à interdire la propagande
antinazie à
l'étranger. Les autorités allemandes sont ainsi intervenues auprès du gouvernement
suisse pour tenter d'interdire le cabaret satirique Le Moulin à Poivre
("Die Pfeffermühle") d'Erika Mann, la fille de l'écrivain Thomas Mann, et pour empêcher la publication de
livres antifascistes. De même, lorsqu'en février 1938 fut inaugurée à Paris une
exposition documentant les cinq années de régime nazi, un article de l'organe de presse
du gouvernement hitlérien, le Völkischer Beobachter, déplora ce Scandale
à Paris, en alléguant que cette exposition était un brutal défi visant
à la destruction des relations amicales commençant à s'établir entre la France et
l'Allemagne. La coopération avec les émigrés allemands, qualifiés de
fauteurs de troubles, était
jugée scandaleuse. La prolongation de la durée de l'exposition, en dépit des
protestations allemandes, fut interprétée par les autorités nazies comme une volonté
délibérée du gouvernement français d'accentuer les tensions diplomatiques entre les
deux pays.
représailles
juridiques
Le régime
nazi a mis en place dès son arrivée au pouvoir tout un arsenal de lois et de mesures
visant à décourager et punir toute propagande ou activité antinazie ; les exilés
furent souvent victimes de cet acharnement nazi à détruire toute forme d'opposition.
Tout d'abord,
la presse allemande exilée était interdite ; les contrevenants commettaient selon
le régime nazi un crime de haute-trahison et étaient par conséquent menacés de la
peine de mort. La législation concernant la trahison sournoise ("Heimtückegesetz"),
promulguée le 21 mars 1933, interdisait également toute
critique orale envers le régime nazi.
D'autre part,
les exilés qui revenaient en Allemagne, puisqu'ils étaient considérés comme des
traîtres à la patrie, étaient internés par mesure préventive
en camp de
concentration. L'un des buts de ces représailles était d'éviter tout contact entre des
personnes ayant vécu à l'étranger et la population du Reich manipulée par la
propagande nazie. Il s'agissait également d'empêcher toute communication entre des
résistants exilés et l'opposition illégale au sein du Reich.
Par ailleurs,
la loi sur la privation de la nationalité allemande du 14 juillet 1933 permettait au régime
hitlérien de priver de leur nationalité les exilés allemands qui critiquaient la politique nazie. En
1935-36, un projet de privation massive de la nationalité des exilés
allemands n'a finalement pas été mis en application par crainte de représailles de la
SDN, indésirables à cause des Jeux Olympiques de Berlin.
Les exilés, notamment les catholiques, les socialistes et les
communistes, furent souvent pris comme prétexte pour justifier des
représailles au sein du Reich ; ces mesures étaient sensées
décourager toute tentative de résistance à l'étranger, qui serait
ainsi lourde de conséquences. De même, en
1938, lorsque, sur l'initiative du président américain, un comité international s'est
efforcé de trouver une solution au problème des réfugiés allemands, le gouvernement
hitlérien a déclaré que des critiques des gouvernements étrangers envers la politique
nazie auraient des conséquences négatives pour les juifs résidant en Allemagne.
prises d'otages
En 1933, la
famille de Philipp Scheidemann, un éminent parlementaire social-démocrate de la
République de Weimar, fut prise en otage et envoyée en camp de concentration après
la publication de l'un de ses articles dans le New York Times. Scheidemann se
rétracta et sa famille fut libérée. Pour le régime
hitlérien, ce cas était sensé statuer un exemple : l'incident aurait prouvé, selon la presse nazie, que les émigrants ne
propageaient que des mensonges et des calomnies à l'étranger ; ces représailles
avaient pour but de dissuader les émigrants de poursuivre leur travail d'information dans
la presse étrangère.
Un autre cas
de prise d'otage a suscité l'indignation de l'opinion mondiale. En décembre 1933,
l'ancien parlementaire social-démocrate Gerhard Seger parvint à s'échapper du camp
de concentration d'Oranienburg et à trouver refuge en Tchécoslovaquie ; ses tentatives
visant à faire fuir
sa famille, afin qu'elle le rejoigne dans son exil, échouèrent. En janvier 1934, sa femme et sa
fille âgée de deux ans furent emprisonnées en détention protectrice ("Schutzhaft").
Seger ne se laissa pas intimider par ces représailles et rédigea un livre dans lequel il
décrivait ce qu'il avait vécu et observé dans le camp d'Oranienburg. La publication de ce
livre a soulevé de nombreux commentaires dans la presse internationale, qui s'est
également indignée de la prise d'otages. Ainsi, en avril 1934, un journal anglais
titrait : Baby labelled "Political Prisoner N° 58". Ce cas a suscité
un scandale diplomatique ; et grâce à la pression de l'opinion mondiale, Madame
Seger et sa fille furent finalement remises en liberté après trois mois de détention,
et furent autorisées à rejoindre Gerhard Seger à Londres. Le régime nazi dut se
contenter de priver la famille Seger de sa nationalité allemande.
enlèvements
et meurtres
Lorsque toutes
ces mesures n'atteignaient pas leur but, le régime nazi n'a pas hésité à enlever et à
assassiner des résistants allemands exilés. L'assassinat en août 1933 du pacifiste
Theodor Lessing, qui s'était exilé en Tchécoslovaquie en février 1933, illustre bien
que les résistants allemands n'étaient pas à l'abri des représailles de la dictature
nazie, même à l'étranger. Le gouvernement aurait même promis une prime de 80 000
Reichsmark à la personne qui parviendrait à abattre Lessing. Les résistants qui
organisaient la diffusion de tracts et de littérature illégale à partir des pays
voisins étaient tout particulièrement exposés au danger. Ainsi, la Gestapo a essayé à
plusieurs reprises d'enlever un fonctionnaire de la SOPADE, Otto Thiele, qui organisait à
partir de son pays d'accueil, la Tchécoslovaquie, les activités illégales dans le
Reich. Une prime de 10 000 Reichsmark aurait été promise aux ravisseurs, qui furent
finalement arrêtés par la police tchécoslovaque. Ce type de mesures a déclenché des
vagues de protestations dans les pays concernés, qui se sont insurgés contre cette
violation de la souveraineté territoriale ; l'opinion publique internationale a
également fortement protesté contre ces crimes.
Bilan
Les
mouvements de résistance d'exilés allemands ont échoué en raison de leur isolement
dans leur pays d'accueil, du manque de soutien de la communauté mondiale et surtout du
manque de coordination entre les différents types d'opposition au nazisme. Mais les
résistants, en dépit de leur échec, ont montré au monde entier un autre visage de
l'Allemagne, celui du soulèvement des consciences allemandes révoltées par le
national-socialisme.