Les sociaux-démocrates
ont été avec les communistes les premiers opposants et résistants au
nazisme, et furent de ce fait les premières victimes du régime. Les
persécutions de la Gestapo ont causé d'énormes pertes humaines dans les
rangs de ces partis.
Les sociaux-démocrates
s'identifiaient à la République de Weimar et ont combattu pour sa
survie. Dès la fin des années 20 furent organisées de grandes
manifestations pour protester contre la montée du nazisme, et les
organisations paramilitaires républicaines, les "Reichsbanner"
et le "Eiserner Front", composées essentiellement de
sociaux-démocrates, ont combattu le "Harzburger Front"
formé du NSDAP, des nationalistes du "Deutschnationale Volkspartei" de
Hugenberg et du "Stahlhelm". Les "Reichsbanner", qui
comptaient plus de trois millions de membres, et le "Eiserner
Front" étaient toujours en alerte pour contrer des tentatives de
putsch et défendre la République de Weimar. Mais les dirigeants du SPD
étaient divisés et indécis quant à la stratégie à adopter en cas de
putsch ; certains voulaient organiser une grève générale et de
grandes manifestations, et privilégiaient l'intervention de troupes
paramilitaires pour la défense de la démocratie, d'autres préféraient
opter pour des solutions non-violentes et parlementaires, dans le cadre
des mesures fixées par la loi.
Après l'arrivée au
pouvoir de Hitler, le 30 janvier 1933, les dirigeants du parti, divisés
quant à l'attitude à adopter face au gouvernement hitlérien, n'ont pas
donné de consignes pour organiser une action coordonnée contre Hitler.
Des militants du SPD ont dans toute l'Allemagne rassemblé des armes en
attendant un signal du parti, qui n'a pas eu lieu. A défaut de
soulèvement, de grandes manifestations ont été organisées pour
protester contre l'arrivée au pouvoir de Hitler. Ainsi, 20 000
sociaux-démocrates ont manifesté le 7 février à Berlin, 15 000 à
Lübeck le 19 février, plusieurs dizaines de milliers également à
Dortmund le 26 février. Les troupes nazies ont arrêté lors de ces
manifestations des dirigeants du parti, et les SA et SS n'ont pas hésité
à tirer dans la foule le 2 février à Lübeck, lors d'une manifestation
de protestation contre l'arrestation du député social-démocrate Julius
Leber, qui fut par la suite libéré pendant quelques temps, avant d'être
arrêté de nouveau. Cela se reproduisit le 13 février à Francfort-sur-l'Oder. A
partir de la mi-février, les manifestations et les rencontres de
militants furent systématiquement dispersées par la police, les SS et
les SA.
La dictature nazie s'est mise en place extrêmement rapidement et
a instauré la terreur dans le pays : après l'incendie du Reichstag,
le 27 février, plus de 4 000 sociaux-démocrates, communistes et libéraux
ont été arrêtés. Le 28 février, Hindenburg s'est appuyé sur
l'article 48 de la Constitution, conférant au Président de la
République les pleins pouvoirs en cas de crise, pour promulguer une
"ordonnance pour la protection du peuple et de l'État".
Les droits fondamentaux, notamment les libertés d'expression, de
réunion, d'association, le droit de propriété, le secret postal,
l'inviolabilité du domicile, furent suspendus. Le gouvernement du Reich
s'est octroyé le droit d'intervenir dans les Länder, et des peines de
mort ou de travaux forcés étaient prévues pour les opposants qui "menaceraient
l'ordre public". Le 1er mars fut publié un décret qui
assimilait l'incitation à la grève à la haute trahison. Le 6 mars, les
sièges du SPD et du KPD, ainsi que des syndicats et des maisons
d'édition, furent occupés et le parti communiste fut interdit. Et le 21
mars ont été créés les camps de concentration de Dachau et
d'Oranienburg, pour emprisonner les opposants politiques. Une cinquantaine
de camps secondaires, contrôlés par les SA, furent créés au cours des
mois suivants. Les résistants allemands furent les premiers prisonniers
des camps de concentration et durent même aider à construire certains
d'entre eux, comme le camp de Buchenwald, en 1937. Au printemps 1933,
plusieurs dizaines de milliers de personnes, essentiellement des
sociaux-démocrates et des communistes, ont été envoyées en camp de
concentration.
Étant donné ce climat de terreur, les perquisitions, les
arrestations et les tortures, la liberté d'action des sociaux-démocrates
était particulièrement infime. A la fin du mois de mars 1933, lorsque le
Reichstag fut convoqué pour accorder au gouvernement hitlérien les
pleins pouvoirs, 94 députés du SPD ont pris part au vote, malgré les
menaces des SS et des SA. 26 députés du SPD avaient été arrêtés par
les nazis ou s'étaient enfui et n'ont pas pu voter. Les sociaux-démocrates furent la seule
fraction parlementaire qui vota contre la loi des pleins pouvoirs
accordés à Hitler ; le parti communiste avait été interdit le 6
mars et tous les députés communistes étaient emprisonnés. Le chef de
la fraction du SPD, Otto Wels, protesta officiellement devant les
diplomates étrangers présents lors du vote contre cette atteinte à la
liberté et à l'État de Droit. Hitler, en obtenant du Reichstag le droit
de légiférer sans le contrôle du parlement pendant quatre ans, est
devenu légalement dictateur. La démocratie parlementaire a été abolie
par ce vote, ce fut la fin de l'État de Droit et le début officiel de la
"Gleichschaltung", la mise au pas de la population
allemande.
En mai, les syndicats
sociaux-démocrates furent interdits et dissous. Le 22 juin 1933, le SPD
fut dissous, et le 14 juillet, le NSDAP fut proclamé parti unique. Une
partie des dirigeants du SPD s'exila alors en Tchécoslovaquie, et tenta
de coordonner l'action des militants à partir du siège de Prague. Des
cellules locales de sociaux-démocrates existaient depuis 1932 ;
ainsi, il y avait environ 250 groupes de ce type à Leipzig. A Hanovre,
les militants recevaient une formation spéciale pour résister aux
interrogatoires, et un organe de presse, les "Sozialistische
Blätter", diffusait les informations. Mais le contact avec
d'autres groupes de résistance était très difficile, la Gestapo
parvenait régulièrement à démanteler les réseaux et arrêtait les
militants. Ce système de cellules locales, qui n'avaient la plupart du
temps aucun contact entre elles, était la base du travail clandestin des
sociaux-démocrates. Mais le manque de préparation et de coordination,
ainsi que les persécutions de la part de la Gestapo ont freiné
considérablement le travail de résistance, dont l'efficacité était de
ce fait très réduite. Les militants se rencontraient dans des
associations diverses, comme par exemple des clubs d'échecs ou de
randonneurs, mais la Gestapo démantelait rapidement ces réseaux.
Les
sociaux-démocrates exilés à Prague, à Paris puis
à Londres après
les accords de Munich et l'occupation de la France, ont tenté de rester en contact avec
les
résistants restés dans le Reich. Le 8 janvier 1934, la direction du SPD
exilée à Prague a publié le "Manifeste de lutte du socialisme
révolutionnaire". La coopération entre la SOPADE, direction
exilée du SPD, et les partis sociaux-démocrates des pays voisins a
permis de mettre en place des réseaux pour passer les frontières,
diffuser des journaux, acheminer clandestinement de l'argent, des tracts
et des machines à polycopier, et rassembler des fonds pour soutenir les
familles des militants arrêtés et déportés. Des sociaux-démocrates
ont également combattu aux côtés des antifascistes espagnols, au sein
des Brigades internationales. En 1938 ou 1939, ils se réfugièrent pour la
plupart en France, mais ceux qui ne sont pas parvenus à fuir ont été
arrêtés par la police française après la déclaration de guerre, en
tant que ressortissants d'un pays ennemi. Plus de vingt mille Allemands
ont ainsi été envoyés dans les camps de concentration du Vernet, de
Rieucros, de Gurs ou des Milles. Après la défaite, ces prisonniers
furent livrés à la Gestapo en raison de l'article 19 de la convention
d'armistice. Les sociaux-démocrates Rudolf Breitscheid et Rudolf
Hilferding, antinazis engagés pour la défense de la paix et la
réconciliation franco-allemande, furent ainsi livrés à la Gestapo et
déportés à Buchenwald, où ils sont morts. Certains résistants
allemands qui ont pu échapper aux persécutions ont combattu dans le
maquis aux côtés des Français. Dans un article publié dans Le
Populaire du 2 septembre 1939, Otto Wels et Hans Vogel avaient appelé
les antifascistes allemands, au nom du comité directeur du SPD, à
s'allier avec les mouvements de résistance des pays dans lesquels ils
avaient trouvé refuge : "La défaite de Hitler est […] le
but que nous devons poursuivre avec les forces démocratiques d'Europe.
Nous serons pendant la guerre aux côtés des adversaires de Hitler, de
ceux qui luttent pour la liberté et la civilisation européenne […]."
Des militants sociaux-démocrates ont su aussi s'allier à des résistants
issus d'autres mouvements. Ainsi, Julius Leber, Theodor Haubach, Carlo
Mierendorff et Adolf Reichwein ont coopéré
avec les civils et les militaires pour organiser l'attentat contre Hitler
et la tentative de putsch du 20 juillet 1944. La plupart des résistants
qui ont pris part à cette action ont été exécutés le 5 janvier 1945
à Berlin-Plötzensee.
Les jeunesses socialistes
ont également participé activement à la résistance. Ainsi, un groupe
d'adolescents socialistes de Francfort a organisé un réseau pour
permettre aux personnes recherchées par la Gestapo de fuir à
l'étranger. D'autre part, les jeunesses socialistes publiaient une revue
clandestine, "Blick in die Zeit", qui diffusait des articles sur
la situation en Allemagne parus dans la presse étrangère.
Par ailleurs, d'autres
sociaux-démocrates ont mis en place des réseaux de résistance qui se
distanciaient de la direction du parti exilée à Prague. En novembre 1933
fut ainsi créé le mouvement de résistance "Roter Stoßtrupp",
constitué d'étudiants et de jeunes travailleurs sociaux-démocrates, et
dirigé par Rudolf Küstermeier et Karl Zinn. Dans leurs journaux, ils
critiquaient les erreurs commises par les directions du SPD et du KPD et
appelaient à la formation d'un nouveau parti de travailleurs qui
combattrait pour la révolution prolétarienne. Mais cette organisation
fut très vite démantelée, et ses membres furent arrêtés à la fin de
l'année 1933.
"Neu Beginnen"
était une autre organisation sociale-démocrate qui s'est distanciée de
la ligne fixée par la direction du parti. Dès 1929, de jeunes
sociaux-démocrates et communistes critiques vis-à-vis de la stratégie
du SPD et du KPD avaient formé ce groupe en espérant renouveler ainsi le
mouvement ouvrier. Cette organisation fut tenue secrète dès sa
création, ce qui favorisa le passage dans la clandestinité. Un siège de
"Neu Beginnen", dirigé par Karl Frank, fut créé à
Prague en 1933 ; son travail consistait à se procurer de l'argent
pour financer les militants vivant dans le Reich et à informer
l'étranger sur les exactions du régime nazi. Le programme de ce groupe,
qui décrivait la situation des travailleurs en Allemagne et proposait des
lignes directrices pour combattre le national-socialisme, a trouvé un
grand écho dans le Reich et à l'étranger. Des cercles de discussion
clandestins se sont constitués en Allemagne et de nombreux sympathisants
se sont joints au mouvement. "Neu Beginnen" se fixait
pour objectifs de former des cadres capables d'encadrer les militants et
de les préparer au travail clandestin, à la transmission illégale
d'informations et au maintien du contact avec l'étranger. Ces mesures
étaient censées préparer une prise de pouvoir lors de la chute du
régime hitlérien. Mais à partir de 1935, la Gestapo a commencé à
démanteler ces réseaux, ce qui a freiné leurs activités. Le
rapprochement avec le "Volksfront", alliance éphémère
de communistes et de sociaux-démocrates créée en novembre 1935, permit
une coopération entre ces mouvements de résistance, qui publièrent en
1938 un programme commun, intitulé "Deutsche Freiheit",
qui insistait sur la nécessité d'une forme de résistance non seulement morale, mais
également politique et active. Mais les dirigeants de ces
réseaux furent arrêtés à l'automne 1938, et le mouvement se
désagrégea progressivement. Les dernières cellules furent démantelées
en 1944.
Parallèlement à ces
mouvements de résistance, d'autres groupuscules, issus de partis
sociaux-démocrates minoritaires comme le SAP ("Sozialistische
Arbeiterpartei"), qui s'était constitué en 1931 par l'alliance de
membres de l'aile gauche du SPD et d'anciens communistes, ont essayé d'œuvrer
pour l'unification des partis de gauche contre le nazisme, mais
sans succès ; un front unitaire des partis de travailleurs n'a pas
vu le jour en raison des divergences entre les différents courants.
Certains membres du SAP se sont exilés, comme par exemple Willy Brandt,
président de la section du SAP de Lübeck, futur chancelier de la RFA et
prix Nobel de la paix en 1971, qui a trouvé refuge à Oslo et a
contribué à la mise en place et au maintien d'organisations clandestines
dans le Reich en effectuant plusieurs missions en Allemagne. Après
l'occupation de la Norvège en 1940, il a fondé à Stockholm une agence
de presse pour informer l'opinion internationale sur ce qui se passait en
Allemagne. Une direction exilée du parti fut fondée à Paris ; ses
membres publièrent pendant l'été 1933 une brochure intitulée "Der
Sieg des Faschismus und die Aufgaben der Arbeiterklasse" ("La
victoire du fascisme et les tâches de la classe ouvrière"), qui
analysait la nature du régime hitlérien. La section des jeunes membres
du SAP organisa des actions plus éclatantes, mais qui entraînèrent des
vagues d'arrestations. Ainsi furent distribués en mai 1933 devant une
grande usine de Dresde des tracts appelant à la lutte contre le
gouvernement nazi ; une centaine de militants furent arrêtés par la
Gestapo après cette action. De nombreux résistants appartenant à
d'autres sections furent arrêtés et déportés en camp de concentration
à la suite de trahisons ou d'imprudences, ce qui conduisit la direction
du parti à transformer les cellules de cinq personnes en groupuscules de
trois personnes, pour limiter au maximum les risques de démantèlement
des réseaux, et on renonça aux grandes actions. Le contact avec
l'étranger devenant de plus en plus difficile, la liberté d'action de
ces cellules était extrêmement limitée. Grâce au soutien de
l'étranger, en particulier des syndicats de transporteurs et de marins
suédois, des tracts et des informations ont cependant être acheminés
clandestinement en Allemagne et rompre ainsi l'isolement des opposants.
D'autres organisations
sociales-démocrates comme le "Internationaler Sozialistischer
Kampf-Bund" (ISK), fondé par Leonhard Nelson, ont continué le
combat contre le nazisme dans la clandestinité. Willy Eichler a fondé à
Paris vers la fin de l'année 1933 une direction exilée de l'ISK, qui a
maintenu le contact avec la section clandestine en Allemagne, dirigée
par Helmut von Rauschenplat ; les militants ont réussi à diffuser
des tracts, grâce au soutien du syndicat international des transporteurs.
De nombreux membres de l'ISK, en particulier des cadres de l'organisation,
ont été arrêtés par la Gestapo, ce qui a fragilisé le réseau. En
1940, Eichler dut quitter Paris et se réfugia à Londres, où il
prononça régulièrement des discours à la BBC pour informer les
résistants vivant en Allemagne.
La plupart des
organisations clandestines furent démantelées dès leurs premiers mois
d'existence, et la vague d'arrestations des premières années provoqua une
stagnation des activités des sociaux-démocrates, notamment en 1935 et
1936. Les résistants qui avaient pu échapper aux persécutions de la
Gestapo ont compris que leurs activités n'avaient pas réussi à
fragiliser le régime nazi, et qu'elles avaient entraîné de lourdes
pertes humaines dans les rangs des militants sociaux-démocrates, qui
n'étaient pas en mesure d'effectuer un coup d'état contre le
gouvernement hitlérien.